Patrick Kanner : ses «amis» socialistes se désolidarisent, Aubry se tait

 

PAR CLAIRE LEFEBVRE

 

En offrant un porte-feuille ministériel à la tête du Conseil général du Nord, François Hollande redistribue les cartes du jeu politique dans toute la région. Une nomination qui en a surpris plus d’un, y compris dans le propre camp de Patrick Kanner, et qui relance les spéculations pour les prochaines élections régionales. Entre les lignes des communiqués officiels de félicitations, se dessinent de nouveaux enjeux.

lille  Patrick Kanner (4)
 

Une nomination surprise ?

« Des noms ont circulé après la démission de Frédéric Cuvillier, sachant qu’il y aurait sans doute un Nordiste pour le remplacer, mais pas celui de Patrick », avoue Gilles Pargneaux, patron des socialistes du Nord, qui accompagnait Patrick Kanner en séminaire politique à Bruxelles lorsqu’il a été contacté par Valls. Le député Bernard Roman assure pourtant que « le nom de Kanner avait déjà surgi lors de la constitution du 1er gouvernement Valls. » Le seul à « jurer » n’être pas surpris par le recours à ce « fidèle de Hollande », c’est le chef de file de l’opposition UMP dans la région, Marc-Philippe Daubresse : « C’est une nomination politique, la réponse du berger à la bergère après les critiques vives de Martine Aubry sur la fusion du Nord - Pas-de-Calais et de la Picardie. »

Difficile d’évoquer mercredi le nom de Kanner sans que ne plane l’ombre, écrasante, de l’ancienne patronne du PS. Marc-Philippe Daubresse prête franchement des arrière-pensées au couple exécutif, qui partage une inimitié pour la maire de Lille et le besoin d’un allié nordiste. Ne cherche-t-il pas à détricoter le jeu politique régional en faisant cette prise d’un homme forgé par l’expérience Pierre Mauroy (il fut le plus jeune adjoint à Lille) sur les terres aubrystes ? Patrick Kanner restera-t-il aussi loyal à Aubry qu’il l’a été depuis dix-neuf ans ? Bernard Roman, qui a assisté aux premiers pas de l’une et de l’autre sous le beffroi lillois, souhaite couper court aux débats : « Je suis fier que Patrick Kanner soit aujourd’hui celui qui nous représente au plus haut niveau et je suis sûr que tous les socialistes, Martine Aubry en tête, partagent cette fierté. »

Des « amis » pas solidaires

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la nouvelle de la nomination de Patrick Kanner à la Ville, la Jeunesse et aux Sports, a été accueillie froidement par les socialistes du Nord. Dans un communiqué, le patron du PS du Nord se désolidarise franchement, insistant sur le fait c’est « à titre personnel » que celui qui présidait le conseil général du Nord « a souhaité accepter la proposition qui lui a été faite de rentrer dans le gouvernement ». Ce qui n’empêchait pas mercredi Gilles Pargneaux d’encourager par ailleurs celui qu’il appelle « Patrick » et qu’il évoque comme son « ami ».

Sauf que, rien à faire, quand il dit « nous », ça signifie : « Les socialistes du Nord et… Martine Aubry ». Il explique : « Un Nordiste dans un gouvernement ne suffit pas à faire une meilleure politique. Nous ne sommes pas des frondeurs, mais nous souhaitons débattre. Nous avons besoin d’une autre orientation économique et sociale de la France. » En clair, les socialistes du Nord, conscients du risque FN lors des prochaines régionales, souhaitent prendre leurs distances avec une action gouvernementale « dont l’orientation ne semble pas pouvoir contrer le désamour des Français ». Et beaucoup d’entre eux préfèrent miser sur « la dynamique de proximité, l’action sur le terrain » et attendent beaucoup de l’intervention de Martine Aubry, que son entourage veut croire imminente.

Silence de Martine Aubry

Pour le moment, elle se tait. Sollicitée mercredi, Martine Aubry n’a pas souhaité réagir officiellement après la nomination de Patrick Kanner qui a été, depuis 19 ans, son loyal lieutenant après avoir été celui de Pierre Mauroy.

Rien ne semble pouvoir briser le silence, dans l’art consommé duquel la maire de Lille semble être devenue maîtresse. L’ancienne patronne du PS n’en finit plus de jouer la montre alors que, dans son camp, le divorce entre frondeurs et tenants du social-libéralisme façon Hollande et Valls semble consommé. Guette-t-elle le moment juste pour se tailler sur-mesure un retour en forme de troisième voie ? Le patron du PS du Nord Gilles Pargneaux, son porte-parole autorisé dans la région, le promet : « Elle devrait s’exprimer, pas à chaud, mais prochainement. Elle a des propositions concrètes à faire, notamment sur la politique économique de la France. C’est une femme d’État, qui, elle, a fait gagner le PS, et qui veut que le gouvernement réussisse. Elle a envie qu’un socialiste soit réélu en 2017. »

« Par loyauté », Martine Aubry est « la première personne » que Patrick Kanner dit avoir appelé après sa nomination. Sa réaction ? Mardi soir : « Vous lui demanderez. » Puis mercredi matin : « Cela n’a pas provoqué (chez elle) un grand enthousiasme. » Se gardant de foncer dans la polémique, il lâchait quand même mercredi soir - à l’endroit d’aubrystes ? « C’est plus facile de dire non quand on n‘est pas appelé. » Et s’agissant de son ancienne patronne : « Elle connaît mes valeurs, mon travail. Je suis sûr que, dans son for intérieur, elle se dit qu’avoir un ministre du Nord peut être une chance pour le pays. »

Dans le viseur : les régionales

Qui pour faire barrage à Marine Le Pen dans la région ? Si l’échéance de mars 2015 est avancée pour les prochaines élections, on ignore encore si le Nord - Pas-de-Calais fusionnera finalement avec la Picardie. Mais la question de la tête de liste PS aux régionales est bien l’enjeu qui transparaît au milieu de l’échiquier nordiste bousculé par cette nomination.

Patrick Kanner, dont le député nordiste Bernard Roman assure qu’« il devient un repère dans la vie politique du Nord - Pas-de-Calais » ? Sa nouvelle stature de ministre le renforcera, à moins qu’elle ne le handicape. Pierre de Saintignon, 1er vice-président au Conseil régional et candidat de Martine Aubry dont il est le 1er adjoint, qui promet de se déclarer officiellement « très bientôt » ? Le Boulonnais Frédéric Cuvillier, quittant les Transports au gouvernement pour consacrer, dit-il, « toute mon énergie à une ville et une région, objets de mes passions » ? Martine Aubry s’y risquera-t-elle personnellement, même si elle a tenu à rappeler hier, via son cabinet, son choix de Pierre de Saintignon ?

« Seule certitude, ce sera, après la présidence de Daniel Percheron (issu du Pas-de-Calais) le tour du Nord », martelaient les socialistes nordistes contactés hier, autant préoccupés par la question de l’alternance entre Nord et Pas-de-Calais que par celle de la montée du FN… Pierre de Saintignon, lui, reste convaincu d’être le « candidat naturel » : « Patrick Kanner n’a jamais été candidat à la Région et a indiqué à plusieurs reprises qu’il me soutenait. Je ne doute pas que nous continuerons sur cette voie. » Même si hier, le nouveau ministre confiait à La Voix du Nord : « Il faut un débat collectif, surtout s’il y a un changement de configuration des frontières régionales. Les cartes seront alors reposées. »

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